Il est rare que je cite l'épigraphe. Ici, il dit "Etre vieux, c'est être jeune depuis plus longtemps que les autres" (Philippe Geluck). Ce roman n'est pas démarré qu'il est déjà merveilleux de sensibilité.
Et il commence, par "Je suis allée acheter un cahier chez le père Prost. J'en ai choisi un bleu. Je n'ai pas eu envie d'écrire le roman d'Hélène sur un ordinateur parce que je veux promener son histoire dans ma poche de blouse."
J'ai remarqué un tic de mes lectures. Quand un livre m'a transportée, m'a bouleversée, m'a piquée à sentir sa brûlure longtemps, je relis, immédiatement après l'avoir fini, ses toutes premières phrases. Un peu comme si je ne l'avais pas fini. Un peu comme si je pouvais le reposer sur ma pile des livres à lire. Un peu comme s'il allait continuer de me transformer. Si vous lisez ces lignes sans l'avoir encore lu, quelle chance vous avez !
Je ne veux rien raconter des intrigues de ce bijou de roman écrit par l'œil d'une photographe, la main d'une scénariste et le cœur d'une femme. La quatrième de couverture, comme les bandes annonce des films, en dit déjà trop. Moi je garde de ce roman un mot et un seul : le chagrin. Toutes les intrigues tricotent et détricotent le chagrin, le chagrin de vie et le chagrin de mort, le chagrin d'amour et le chagrin de désamour.
Le chagrin d'amour… celui qui vous garde en vie par la seule et quelconque évocation de l'autre, cet autre que vous aimez d'amour. Réciproquement touchés par ses manies quotidiennes, ses gestes répétitifs, ou ceux qu'ils ne font justement pas pour lui être aimable. Magistralement grandis par le cadeau réciproque que chacun offre à l'autre, en lui offrant ce qu'il ne peut s'offrir à lui-même. Et être ainsi unis non pas en faisant un, mais chacun regardant l'autre dans son aura de vie. Cet amour-là est si beau et si pur qu'il est souvent silencieux dans les romans, une fabuleuse connivence. Dans la "vraie vie" (je déteste cette expression qui veut juste rendre vulgaire le quotidien), toucher ce chagrin d'amour passe par de nombreux chagrins de désamour …
Le chagrin de désamour vous consume à petit feu, de jalousie, de déception, d'attentes inexprimées ou insatisfaites, de solitude, d'impuissance, de désespérance. Ce chagrin élit domicile dans votre cage thoracique, comprimant vos poumons et votre coeur, faisant de chaque cote un poignard. Ce chagrin hurle et pleure dans le néant. Alors il s'écrit en mots sur du papier blanc, pour les extraire de soi, à tout prix. Et ce papier blanc se met en boule et tombe au sol. Cette boule de papier se transforme alors en verre qui s'éclate au contact de l'asphalte. Les mots se décrochent et volent faisant de chaque lettre un éclat de verre qui fait saigner chacun de vos pas. Ce chagrin empêche toute rencontre entre deux êtres, condamnés à se laisser portés et déportés par les événements. Ils croient jouer la partie. Ils ne sont que les marionnettes de ce qui est mort en eux en tenant l'autre pour responsable.
Et puis il y a le chagrin d'amour qui rencontre le chagrin de désamour, qui le console, qui le tient au chaud. Sa profondeur est patiente, elle dure ici 416 pages … Seul l'amour gagne.
Quelques informations pratiques sur ce livre.
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