Résumé et structure du roman
Dans une série de courts chapitres, portant chacun le nom d'un combat, 'Orages d'acier' raconte les campagnes d'un soldat durant quatre ans. L'auteur raconte les occupations quotidiennes du combattant : la garde, le repos dans l'abri, l'attente, la fatigue... L'un des grands récits inspirés par la guerre 1914-18. A la fois roman d'apprentissage et réflexion profonde sur le destin de l'homme face à la mort collective.
Histoire du texte
Jünger s'est basé pour écrire ce récit d'un jeune lieutenant de l'armée allemande, engagé volontaire lors de la Première Guerre mondiale, sur les seize carnets qu'il a tenus durant toute la période de la guerre. L'écrit sous sa forme actuelle est le résultat d'un travail de composition et de réécriture des années d'après-guerre et même au-delà. Les éditions allemandes successives au cours des années vingt et trente présentent des différences textuelles importantes et l'édition définitive, la septième, date de 1978. Le livre a été publié pour la première fois en 1920 à compte d'auteur à 2 000 exemplaires. Jünger voulait à l'origine intituler son livre Le Rouge et le Gris en référence à Stendhal et a finalement opté pour une image empruntée aux sagas islandaises dans un poème scaldique.
Le livre a fait l'objet de nombreuses traductions dans neuf langues différentes
Description
Le témoignage porté par le livre est celui d'un héros militaire. Jünger a été blessé quatorze fois et a souvent combattu en première ligne dans les troupes de choc à la fin de la guerre. Avec le grade de lieutenant, il est resté, avec le capitaine Erwin Rommel, le plus jeune soldat à avoir été décoré de l'ordre Pour le Mérite, distinction la plus prestigieuse de l'armée allemande.
Contrairement aux autres témoignages littéraires publiés sur la guerre des tranchées, ici, la peur ou le sentiment d'horreur face au déchaînement de la violence ne sont que brièvement perceptibles.
Quand il s'agit de décrire les blessures ou les cadavres, la description demeure « clinique » et détachée. La langue de l'auteur prend en revanche plus d'élan lorsqu'il s'agit de décrire l'émotion du combat, l'ardeur qui s'empare de lui au moment de l'assaut, la satisfaction d'avoir abattu un adversaire – sans jamais éprouver de haine à son égard. André Gide a écrit dans son "Journal" : « Le livre d'Ernst Jünger sur la guerre de 14, Orages d'acier, est incontestablement le plus beau livre de guerre que j'ai lu, d'une bonne foi, d'une honnêteté, d'une véracité parfaites".
Orages d'acier par rapport à ses contemporains
Pourquoi faire la guerre ?
Orages d'acier VS A l'Ouest rien de nouveau
Orages d'acier par rapport à ses contemporains
C'est d'ailleurs la grande différence du livre de Jünger avec celle de ses contemporains
(Gabriel Chevallier "la peur", ré-édité dernièrement, version française du conflit;
Erich-Maria Remarque "A l'ouest rien de nouveau", classique lu à l'école, version allemande du conflit,
et plus superficiellement Henri Troyat écrivain français dans "Les semailles et les moissons", saga du siècle avec des passages très forts sur les désastres humains de la guerre de 14-18).
En effet, Jünger, véritable combattant, s'est "détaché", "dissocié" de l'horreur, et est devenu mécaniquement un soldat en guerre, pour ne décrire son attachement à des valeurs "pacifistes" que plus tard. L'Allemagne humiliée au diktat de 1918 a eu besoin de ces soldats-là pour créer l'Allemagne nazie (à laquelle a appartenu Jünger et Rommel dans des destins différents). Néanmoins, Rommel comme lui ne sont pas devenus "nazis", ils sont restés des allemands de 14, fierté et bravoure dit l'histoire. Jünger a néanmoins été protégé par Hitler là où Rommel a lutté contre Hitler. Jünger était peut-être devenu plus "philosophe" qu'homme d'action …
Les autres témoignages littéraires sur 14-18 parlent surtout de l'horreur de la guerre des tranchées, des gaz, des rats, de la peur constante, continuelle, du froid, des tenues françaises voyantes à des km, des désastres neurologiques à leur retour. Ils sont tous partis la fleur au fusil, et pour six mois. Ils sont pour la plupart revenus écoeurés quand ils revenaient vivants. C'est l'une des guerres les plus meurtrières, celle qui a fait entrer l'Europe dans le XXé siècle, celle qui est à l'origine de la liberté des femmes (elles travaillaient pour remplacer les hommes, elles étaient veuves, elles ont commencé à lutter pour leur droit de vote à cette époque-là), à l'origine des mouvements pour la dignité de l'homme, des mouvements pacifiques …. Le film "Joyeux Noël" décrit l'ambiance insensée de cette guerre des tranchées, des hommes qui se parlaient sans hausser la voix tant leurs tranchées se séparaient de quelques mètres, et qui tout d'un coup recevaient l'ordre d'aller tirer et trancher à coup de baïonnettes.
L'Allemagne a été effroyablement humiliée à la fin de la première guerre, et des hommes comme Jünger ne sont pas rentrés pacifistes de la guerre mais habités d'une ardeur au combat et d'une fierté allemande à restaurer d'urgence (ce qui sera le terreau de Hitler). Et pour que l'Allemagne émerge de son chaos, il fallait la faire sursauter sur sa haine de l'étranger qui dominait et pillait une nation vaincue. Et c'est ainsi que ces cultivateurs, ces ouvriers, ces comptables, ces enfants, pour qui la désobéissance aux lois, l'usage de faux, la tuerie, avaient été des actes d'héroïsme en 14-18 sont devenus encore plus méchants en 39-45 ….
Pourquoi faire la guerre ?
Certains disent aujourd'hui que l'une des raisons majeures pour lesquelles les hommes font la guerre, c'est que la compétition, le danger obligent à vivre intensément l'instant présent (ce que les bouddhistes disent être la capacité au bonheur …), là où la pensée comme l'émotion vadrouillent dans le passé et dans l'avenir, le corps est ici et maintenant. Et cette sensation crée une excitation, une fascination poussant les hommes à la répétition de l'action, en l'occurrence guerrière. Et lorsque la Loi, l'Etat t'y autorisent (en se déclarant la guerre), cela fait sur le terrain de terribles soldats décorés … dont faisait partie Jünger en 14-18, mais plus en 39-45.
Parler à des sportifs vous apprend qu' "être au contact de mon corps me permet de vivre l'instant présent et d'y être heureux". De là, il n'y a qu'un pas pour ne pas s'étonner que le sport est l'un des moyens largement utilisés pour gérer les impulsions agressives des jeunes comme celles des peuples entre eux (les jeux olympiques servent la paix du monde …)
Orages d'acier VS A l'Ouest rien de nouveau
Ces deux livres de guerre cultes, chacun dans leur style, ont la particularité de se dérouler pendant la 1ère mondiale, mais dans le camp allemand. Pourtant, on peut dire que tout les oppose :
- Le milieu social des auteurs :
Remarque se retranche modestement derrière un héros désabusé, issu d’un milieu modeste : Paul Baumer. Sa mère meurt, faute de soins dans un bon hôpital. Sa famille vit dans un petit appartement en ville. Son livre « A l’Ouest, rien de nouveau » est un roman peu épais (de ce fait, il est parfois étudié en classe), mais ses évocations des combats sont directes, alors qu'en réalité, l'auteur n'a jamais vu le front ; il fait mouche avec peu de mots ; l’ensemble est surtout emprunt d’une pesante mélancolie.
Jünger, lui, est une personnalité bien différente : c’est le plus pur produit de l’aristocratie prussienne, guerrière et patriotique. Son récit est à la première personne du singulier : il assume totalement son engagement et sait se mettre en valeur. Il a bénéficié d’une éducation soignée, et ses talents d’écrivains sont réels : dans « Orages d’acier », sa plume est rythmée et colorée : on lit ce pavé en haletant, tellement son récit est épique et bien ficelé. Une sorte de « Guerre et paix » du XX°S. !
- L’intensité de leur engagement militaire :
Ernst Jünger, lui, comprend que le métier des armes est fait pour lui, il fait rapidement une école d’élève-officier, de laquelle il sort avec succès. Il deviendra Adjudant, Leutnant (sous-lieutenant) puis Oberleutnant (Lieutenant) pendant la Grande guerre. Il fera partie des soldats les plus décorés du conflit, avec son insigne doré pour ses nombreuses blessures, et surtout, sa prestigieuse et rarissime étoile « pour le mérite » décernée par le Kaiser lui-même…
Le héros de Erich Maria Remarque fait partie des engagés volontaires de 1914 (« Krieg Freiwilligen ») devançant l’appel, certes, mais il le regrette vite ; il n’a fait que suivre tous ses camarades, eux-mêmes endoctrinés par leur instituteur. Cela donne lieu ensuite à une rencontre gênée entre son ex-instituteur et lui pendant sa permission… Paul Baumer reste curieusement membre de la troupe, des sans-grade du début à la fin… Pendant une cérémonie, il ne reçoit pas de décorations par l’Empereur, réservées aux les soldats les plus valeureux….
- Leur vision de la guerre :
Pour Ernst Jünger, la guerre est une expérience initiatique individuelle ; il sait qu’il est doté de qualité pour commander, d’une santé très robuste… et il a aussi beaucoup de chance ! Il comptabilise une vingtaine de blessures, mais sans subir aucune amputation ! La guerre, au même titre que le sport et la culture, sont des activité naturelles pour les hommes : c’est avant tout une occasion de montrer sa réelle valeur : la force est dans le sang et elle ne peut se maîtriser. Jünger est et restera un homme de droite, un conservateur non nazi.
Le héros de Remarque pense tout autrement : la guerre est une absurdité totale provoquée par des gouvernements hautains et irresponsables, au service de leur propre gloire. La personne de l’Empereur Guillaume II est l’objet de nombreuses interrogations de sa part, et il comprend progressivement qu’il ne s’agit que d’un homme qui est son égal en humanité ! La guerre n’est qu’un fléau, et son roman en décrit minutieusement tous les travers : hôpitaux-boucherie, tranchées-mouroirs, assauts désespérés, bombardements infernaux, gaz asphyxiants… Mais cela est dit sans haine, à la manière d’un « candide » voltairien qui découvre petit à petit les laideurs du monde… A chacun de se faire son opinion : son récit est en fait un pur roman d'obédience pacifiste.
- Vie et fin des héros :
Le récit de Jünger est purement autobiographique, voire même apologétique. Sa glorieuse histoire ne s’arrête par le 11 novembre 1918 ; versé dans la réserve, il deviendra Hauptman (Capitaine) au cours de la seconde guerre mondiale. Il passera l’Occupation en France, à vivre en dandy parisien. Il rejoint Remarque, en quelque sorte, mais seulement en 1944 : il fait partie des comploteurs du 20 juillet 1944 contre Hitler : au cours d’une féroce répression, 5000 officiers sont éliminés, mais Jünger y échappe en raison de sa popularité et de son passé de patriote… Reconnu pour ses œuvres littéraires (« Jeux africains », « Héliopolis »…), ce vaillant vieillard arpentera l’Europe avant de décéder récemment, quasiment centenaire !
Chez Remarque, la boucle est bouclée quand le héros Paul Baumer meurt à la fin, bêtement, deux jours avant l’armistice du 11 novembre ! En fait, Remarque le pacifiste fuit pour s’installer aux USA à l’arrivée des nazis au pouvoir. Son livre sera même brulé dans un "auto-da-fé" nazi. Il n’écrira plus rien, comme si « A l’Ouest, rien de nouveau » avait finalement suffi à exorciser ses souffrances… Mais un film en sera une fidèle adaptation (voir chronique). A noter que c’est son point de vue est repris par l’historiographie, jusque dans la B.D., avec le fameux Tardi, qui est aussi très engagé…
Dans la colonne à droite (sous l'intitulé "Albums Photos"), vous trouverez des informations pratiques sur ce livre, ainsi que la biographie et la bibliographie de l' Auteur. Lien vers Amazon.
Merci beaucoup de cet article très complet :)
Rédigé par : Ellana | 12 février 2018 à 11h34