L'Histoire commence par "Je m'appelle Brodeck et je n'y suis pour rien. Je tiens à le dire. Il faut que tout le monde le sache." Et nous voilà partis pour 400 pages, un puzzle noir à la progression hallucinante.
J'ai été transportée dans ce tableau terrible de l'Humanité à laquelle j'appartiens.
Je dois confesser que je n'avais jamais lu Philippe Claudel. Je m'étais bêtement arrêtée à une idée "grise" de l'auteur, un descripteur d'ambiance incroyable dans laquelle j'avais peur d'aller m'engloutir. Je découvre Philippe Claudel par Le rapport de Brodeck. Et j'ai maintenant envie de lire tous ses autres livres, d'aller voir son film au cinéma. Cet auteur est d'une sensibilité étonnante. Ill sait transmettre une tendresse infinie sans juger ses personnages.
Hors de toute géographie et hors du temps, "Le rapport de Brodeck" contient l'Humanité en 400 pages, sa nature la plus odieuse, sa culture la plus forte, son combat partout.
Sans doute Philippe Claudel a-t-il encore affiné sa sensibilité à l'âme humaine lors de ses expériences en tant que professeur de français en prison. Mais ce qui me sidère le plus, c'est de toucher à tant de méandres, à tant de non-dits, à tant de gravité sans sensiblerie ni intellectualisme. Le héros Brodeck est étonnamment factuel. D'ailleurs, c'est ce que le maréchal-ferrant du village lui demande "tu diras les choses, c'est tout, comme pour un de tes rapports.», de consigner les évènements sans ajouter de détails inutiles. Oui, le métier de Brodeck n'est pas de raconter des histoires. Son activité consiste à établir de brèves notices sur l'état de la flore, des arbres, des saisons et du gibier, de la neige et des pluies, un travail sans importance, sans enjeu, sans risques.
Là, c'est différent. Et Brodeck accepte. Brodeck est consciencieux à l'extrême, il ne veut rien cacher de ce qu'il a vu, il veut retrouver la vérité qu'il ne connaît pas encore. Même si elle n'est pas bonne à entendre. Car elle ne va pas être bonne à entendre … "Les hommes sont bizarres. Ils commettent le pire sans trop se poser de questions, mais ensuite, ils ne peuvent plus vivre avec le souvenir de ce qu'ils ont fait."
L'Humanité au théâtre de sa vie …
J'ai été transportée dans ce puzzle de l'histoire du Pardon, sans lequel la reconstruction est impossible …
J'ai adhéré, abasourdie, tétanisée à la leçon commune que l'on peut tirer des histories dramatiques qui se répètent …
A quelles autres œuvres cela me fait-il penser ?
L'Humanité au théâtre de sa vie
Le rapport de Brodeck, c'est nulle part ou partout, pourquoi pas en Europe entre 1933 et 1955. Le rapport de Brodeck, c'est la déferlante nazie, c'est la lâcheté d'un village, c'est l'horreur de la vie, c'est le secret de la survie ... Le rapport de Brodeck, c'est un puzzle noir, une construction littéraire remarquable. Le “présent” du rapport à rédiger est l'occasion de raconter le passé des habitants d'un village. L'unité du lieu rend théâtral ce suspense où l'homme n'en ressort pas grandi. Brodeck si. Qu'on ne s'y trompe pas, l'horreur des camps sert de prétexte. Le rapport de Brodeck se penche moins sur l'horreur des camps que sur ce qui pousse des hommes à y envoyer d'autres ... La peur, toujours la peur.
J'ai été transportée dans ce puzzle de l'histoire du Pardon, sans lequel la reconstruction est impossible.
Puissant, dense, intense, grave, beau, odieux … c'est sur un ton enfantin ..Non. Plutôt dénué d'espérance. Blasé de l'horreur, comme devenu intouchable, sinon comment survivre ? Le lecteur voyage dans son monde intérieur, dans la pureté, dans la simplicité des sentiments qui vous comblent. Surtout ne pas penser. Surtout ne pas réfléchir. Ne pas compter le temps. Il n'existe pas. Lire au rythme des découvertes de Brodeck. "J'allais non seulement vers la négation de ma propre personne, mais aussi, dans le même temps, vers la conscience pleine des motivations de mes bourreaux, et de ceux qui m'avaient livré à eux. Et donc, en quelque sorte, vers l'ébauche d'un pardon."
C'est dense, c'est rapide, ça s'accélère, le rythme de la lecture comme le cœur qui bat. L'intensité est exponentielle, vous êtes saisis par le suspense haletant, mêlé à la peur de savoir la vérité.
J'ai adhéré, abasourdie, tétanisée à la leçon commune que l'on peut tirer des histories dramatiques qui se répètent.
Bien des impressions de lecture comme le rien de racontable sur ce livre sans dévoiler la mariée pourraient laisser à penser que "Le rapport de Brodeck" est un polar-fiction. On préférerait pouvoir le souhaiter. Mais il n'en est rien. Chaque ligne de cette œuvre magistrale raisonne avec l'Histoire de l'homme. "L'idiotie est une maladie qui va bien avec la peur. L'une et l'autre s'engraissent mutuellement, créant une gangrène qui ne demande qu'à se propager."
Nature, culture … ce n'est pas qu'un débat philosophique.
A quelles autres œuvres cela me fait-il penser ?
Sur la peur, et pour se détendre après …, je pense à La Peur, Thierry Serfati. C'est un polar.
Pour prolonger l'utilisation de la peur et de la bêtise, je pense au remarquable et tristement visionnaire roman de Boualem Sansal, Le Village de l'Allemand ou le journal des frères Schiller (note dans ce blog).
Et sur l'indéchiffrable entêtement des hommes à se tuer pour défendre ses convictions plutôt qu'à les comprendre, j'ai pensé à la lumineuse lecture des travaux de Clare W. Graves, "La Spirale de l'évolution".
Dans la colonne à droite (sous l'intitulé "Albums Photos"), vous trouverez des informations pratiques sur ce livre, des morceaux choisis, ainsi que la biographie et la bibliographie de l' Auteur.
bonsoir Guy. Non je ne l'ai pas lu, mais il est sur ma pile des livres à lire. J'en ai entendu les meilleurs échos. Merci de votre contribution. ;-)
Rédigé par : Alexandra | 26 mai 2011 à 23h33
A propos de la peur: avez-vous lu "La peur" de Gabriel Chevallier ? Humain, également, et qui cherche à comprendre de quoi est fait l'homme
Guy
Rédigé par : Guy Decreuse | 26 mai 2011 à 20h46