Jean-Jacques Rousseau au siècle des Lumières …
Jean-Jacques Rousseau (né le 28 juin 1712 et décédé le 2 juillet 1778, subitement de ce qui semblait être une crise d'apoplexie) est un écrivain, philosophe et musicien genevois d'expression française. Il fut l'un des plus illustres philosophes du siècle des Lumières, bien que son œuvre philosophique et son tempérament l'opposèrent souvent aux figures de proue et aux idéaux du mouvement (ne fréquente pas les Salons, ni les Bourgeois).
Sans doute malgré lui, ses travaux influencèrent grandement l'esprit révolutionnaire français (ses idées sur l'égalité entre les hommes).
Son fameux Discours sur l'Inégalité est une sorte de dialogue avec l'œuvre de Thomas Hobbes (dont la phrase célèbre est "l'homme est un loup pour l'homme" : sentence issue de la période des Seigneurs de la guerre, de la loi du plus fort, de l'absence de culpabilité à tuer, de la fierté à mourir en héros).
Les Lumières veulent répondre à ce problème : la seule façon d'éviter que l'homme le plus fort l'emporte sur le plus faible est de protéger ce dernier : par la loi (Montesquieu), par la connaissance (Diderot), par l'égalité (Rousseau).
Rousseau se distingue des autres, car il ne cherche pas de solution dans le rationalisme dominant des Lumières, mais dans l'évolution de l'homme. Ses inspirations philosophiques seront scientifiquement "prouvées" 1 siècle plus tard par le naturaliste anglais Charles Darwin (1809 - 1882).
Pourquoi est-il, lui, préoccupé par l'éducation et l'homme ?
Rousseau a mené une vie tourmentée :
. Une enfance difficile : orphelin de mère 9 jours après sa naissance, abandonné par son père à 9 ans, il est élevé par un oncle qu'il prend pour son grand-père, un pasteur protestant, exilé en Suisse à cause des persécutions religieuses de l'époque. Il est placé comme apprenti chez un greffier, puis chez un maître graveur. Très tôt, il vit ce manque de liberté dans l'éducation comme une atteinte à sa qualité d'homme : « Renoncer à sa liberté, c'est renoncer à sa qualité d'homme. » (Du contrat social)
. A 16 ans, il quitte la Genève protestante (1728). Recommandé par le curé de Confignon, Benoît de Pontverre, il atterrit chez une vaudoise émigrée à Annecy, Madame la baronne de Warens, récemment convertie au catholicisme. Il l'appelait "Maman". Celle-ci l'envoya à Turin où il se convertit au catholicisme le 23 avril.
. A 18 ans, il voyage à pied jusqu'à Neuchâtel, où il enseigne la musique.
. A 20 ans, il revient à Chambéry, où il travaille aux services administratifs du duché de Savoie, puis comme maître de musique auprès des jeunes filles de la bourgeoisie et noblesse chambérienne. Il séjourne près de dix ans dans la capitale de la Savoie. A 22 ans (1734), il devint l'intendant de Mme de Warens, qui deviendra plus tard sa maîtresse.
Les débuts philosophiques :
. À Paris, en 1742 et 1743, il essaya d'exploiter l'invention d'un système de notation musicale en publiant successivement le Projet concernant de nouveaux signes pour la musique et la Dissertation sur la musique moderne. Il se lia avec Denis Diderot et Mme d'Epinay. (En 1749, il écrivit des articles sur la musique pour l'Encyclopédie).
. En 1745, il rencontra Thérèse Levasseur, modeste servante d'auberge, avec qui il se mit en ménage. Les cinq enfants qu'ils eurent furent confiés aux Enfants-Trouvés, l'Assistance publique de l'époque, décision qui lui fut reprochée plus tard (notamment par un pamphlet de Voltaire, auquel il répondit par son grand ouvrage Les Confessions), lorsqu'il se posa en pédagogue dans son livre Émile.
Célébrité et polémiques :
. En 1755, à un concours de l'Académie de Dijon, il répondit par son Discours sur l'origine et les fondements de l'inégalité parmi les hommes (également appelé Second Discours), qui acheva de le rendre célèbre et suscita, comme le Premier Discours, une vive polémique.
. Publié en 1762, Émile ou De l'Éducation fut condamné par le Parlement de Paris. Le Contrat social parut la même année et connut un sort similaire : les deux ouvrages furent interdits en France, au Pays-Bas, à Genève et à Berne.
. Rousseau se rendit en Suisse, puis sur le territoire de Neuchâtel (Môtiers) qui appartenait au roi de Prusse. Après un séjour dans l'île Saint-Pierre, sur le lac de Bienne, il gagna l'Angleterre, en 1765, en compagnie de David Hume, attaché à l'ambassade de Grande-Bretagne à Paris.
. Il put rentrer à Paris en 1770, à la veille de la chute de Choiseul dont il avait condamné la politique d'annexion de la Corse. Il condamna également la politique russe de démantèlement de la Pologne, alors que la plupart des philosophes soutenaient Catherine II.
. Il meurt subitement en 1778. Le lendemain de sa mort, le sculpteur Houdon prit le moulage de son masque mortuaire. Le 4 juillet, le marquis de Girardin fit inhumer le corps dans l'île des Peupliers, dans la propriété où, en 1780, s'élèvera le monument funéraire dessiné par Hubert Robert, exécuté par J.-P. Lesueur. Le philosophe fut rapidement l'objet d'un culte, et sa tombe fut assidûment visitée. Les révolutionnaires le portèrent aux nues et la Convention demanda son transfert au Panthéon. L'hommage solennel de la nation française eut lieu le 11 octobre 1793 : au cours d'une grandiose cérémonie, les cendres de Jean-Jacques Rousseau furent transférées d'Ermenonville au Panthéon. Jean-Jacques Rousseau devint officiellement l'une des gloires de la nation française.
Ses idées de l'Inégalité, et le lien avec la révolution française
Rousseau offre une nouvelle Vérité (il est dans le même système "collectif" de valeurs), c'est pourquoi la Révolution Française l'encense, cela permet l'opposition à La Vérité monothéiste (tu auras ton salut dans l'au-delà): l'Homme contre Dieu, l'Homme contre le Noble, l'Homme pauvre contre le riche. Il n'est pas un changeur du temps, contrairement à Montesquieu et à Diderot. Il offre une forme de stabilité de pensée en offrant une autre Vérité, mais une Vérité unique et ultime comme le monothéisme. Il offre une Vérité laïque : vérifiable ici-bas (les thèses de Rousseau serviront la cause marxiste-léniniste à la fin du XIXé).
Et la sublimation de Rousseau va ouvrir la voie de l'humanisme : croire plus en l'homme qu'en Dieu.
Les grands principes de la philosophie rousseauiste
. La Nature :
Au Siècle des Lumières, Nature veut dire "Physique" (début des sciences). Rousseau élargit cela à la nature innée de l'homme (façon de lutter contre la culture élitiste de l'époque), à la conscience morale (la voix de la nature que tout homme aurait naturellement en lui et qui serait abîmée par la culture, les éducations de l'époque), et c'est aussi la campagne verdoyante (cad ce que Dieu a mis à disposition de tous) : il élargit le langage collectif, mais il reste dedans.
. Le débat Nature contre Culture :
La nature, c'est avant tout ce que l'on oppose à la culture (l’art, la technique, la loi, l’institution, la société, l’arbitraire). Rousseau est peut-être le premier à faire de cette distinction un outil méthodologique (repris notamment par Claude Lévi-Strauss, rousseauiste fervent).
Il considère que l'homme est bon par nature, et qu'il devient "un loup pour l'homme" par l'effet de la culture.
. Rousseau est typiquement un philosophe issu de l'émotionnel, là où Montesquieu serait instinctif et Diderot mental.
Pour Rousseau, ce qui caractérise l'homme nu dans l’état de nature, c'est un parfait équilibre entre ses désirs et les ressources dont il dispose. Car l'homme naturel est d’abord un être de sensations, et de sensations seulement. « Plus on médite sur ce sujet, plus la distance des pures sensations aux plus simples connaissances s'agrandit à nos regards ; et il est impossible de concevoir comment un homme aurait pu, par ses seules forces, franchir un si grand intervalle ».
L'homme naturel ne désire que ce qui se trouve dans son milieu de vie immédiat. Car il ne pense pas. Ces choses sont les seules qu'il puisse se « représenter ». Les désirs de l’homme naturel coïncident parfaitement avec les désirs de son corps. « Ses désirs ne passent pas ses besoins physiques, les seuls biens qu'il connaisse dans l'univers sont la nourriture, une femelle et du repos ».
Être de pures et seules sensations, l’homme naturel ne peut anticiper l'avenir, ni se représenter les choses au-delà du présent.
Par là, Rousseau prend le contre-pied de la théorie hobbesienne de l'état de nature. L'homme naturel de Rousseau n'est pas un « loup » pour ses semblables. (pensée héritée des périodes rouges)
Mais il n’est pas non plus porté à s'unir à eux par des liens durables et à former avec eux des sociétés (pensée magique). Il n'en ressent pas le désir. Ses désirs sont satisfaits par la nature.
Et son intelligence, réduite aux seules sensations, ne peut même pas se faire une idée de ce que serait une telle association. Car les sensations et les émotions sont furtives, pas mentales.
. Rousseau doit donc trouver un moyen pour l'homme bon à l'état naturel le reste tout en créant une société, car Rousseau croit en la nécessité de la collectivité …
L’homme naturel n'a que l'instinct, et cet instinct lui suffit. Cet instinct est individualiste ; il ne l'induit aucunement à la vie sociale. Pour vivre en société, il faut la raison à l’homme naturel. La raison, pour Rousseau, est l'instrument qui adapte l’homme nu à un milieu social, habillé. De même que l'instinct est l'instrument d'adaptation de l’homme à son milieu naturel, la raison est un instrument d’adaptation de l’homme à un milieu social, juridique.
Or cette raison, il ne l'a qu'en puissance, de même que la vie sociale est présente en puissance dans la vie naturelle : la raison, l'imagination qui permet de se représenter un autre homme comme mon alter-ego (c'est-à-dire comme un être à la fois même que moi et autre que moi), le langage et la société, tout ce qui constitue la culture, apparaissent ensemble, et ne sont pas véritablement actifs à l'état de nature.
Mais l'homme naturel, en tant qu'il est perfectible, possède déjà, virtuellement, toutes ces facultés. Il est asocial, mais non associable : « Il n'est pas réfractaire à la société ; mais il n'y est pas enclin. Il a en lui les germes qui, développés, deviendront les vertus sociales, les inclinations sociales ; mais ils ne sont que des puissances. La perfectibilité, les vertus sociales et les autres facultés que l'homme naturel avait reçues en puissance ne pouvaient jamais se développer d'elles-mêmes »
Autrement dit, l'homme à l'état naturel a les ressources en lui pour se socialiser (l'homme est sociable avant même de se socialiser), mais ne les activera que si on lui dit comment le faire (d'où le Discours sur la "Méthode" : comment faire ?), sinon il n'aura pas de raison de le faire (puisque la nature lui satisfait tous ses désirs).
Les influences de Rousseau
L'amour et la haine
Il est incontestable que Rousseau a fait souffler un vent révolutionnaire sur les idées d'amour et de haine : cette considération accordée à la sexualité comme une expérience fondamentale dans la vie d'un être humain, la prise de conscience de l'importance des sentiments d'amour et de haine dans la construction de la société humaine et dans son développement, et enfin, cette ouverture sur le débat moderne avec le sujet amoureux partagé entre l'amour conjugal et l'amour passion. On peut également ajouter que Rousseau a permis d'établir dans sa société du XVIIIe siècle une nouvelle notion, à savoir le fait que la personnalité d'un individu, qu'elle concerne le rapport aux autres et la sexualité entre autres, se forge dès l'enfance. D'où son "Émile ou de l'Éducation ou la nécessité d'éduquer au sentiment amoureux". (Rousseau a inspiré philosophiquement les découvertes scientifiques sur la différence entre l'adulte et l'enfant au début du XXé, l'enfant ayant droit à une existence différente de l'adulte est très récente, et aussi liée aux progrès de la médecine – baisse de la mortalité infantile)
Il y a deux sortes d'amour : l'amour physique et l'amour moral.
L'amour physique ne choisit pas, il ne préfère rien. Soit que le sauvage prenne la première femme qui passe, n'ayant aucune raison d'en attendre une autre car « toute femme est bonne pour lui » ; soit que le frère prenne sa sœur parce qu'il n'a finalement aucune raison d'aller chercher plus loin, ayant sa sœur sous la main (partage communautaire).
Au contraire, l'amour moral porte sur l'individu et procède d'un choix. Si les principes de ce choix sont plus ou moins obscurs, c'est parce que nous voyons moins clair que l'amour lui-même, mais les conséquences sont claires : « excepté l'objet aimé, un sexe n'est rien pour l'autre ». De sorte que, par le choix, l'amour devient le contraire du penchant. L'amour est lié au langage en tout cas, le langage est à l'origine du sentiment amoureux. L'amour a besoin de la société des hommes pour remplacer le penchant ; en d'autres termes, il existe un discours social qui circule sur les femmes et propose des modèles, des idéaux amoureux qui tirent l'amour du simple penchant. On pense à Sophie, la femme d'Émile ; Émile, grâce ou à cause de la société, a cherché un idéal, une Sophie, une personne qui est sage.
La société ne produit pas que l'amour ; elle favorise aussi la haine. La moindre opposition devant l'amour devient une « fureur impétueuse » : la plus douce des passions peut vite devenir un bain de sang, ajoute Rousseau.
La dimension sexuelle est primordiale, mais il faut qu'elle cesse pour que le véritable amour puisse surgir. D'où une opposition nécessaire entre l'amour moral et l'amour purement physique.
L'amour et la haine ne sont donc pas vraiment de même nature parce que l'amour précède la haine.
La Nouvelle Héloïse pose l'opposition entre l'amour et le mariage. C'est le thème central. On le retrouve dans beaucoup d'œuvres de l'époque, mais ce qui distingue Rousseau de ses contemporains, c'est sa façon de traiter le sujet et la réponse qu'il donne.
L'opposition entre amour et mariage, par l'opposition entre le sentiment libre et le sentiment encadré, le besoin individuel et l'institution sociale, entre la passion et la loi. On retrouve cette thématique chez Shakespeare dans son Roméo et Juliette et la fin tragique, le suicide des deux amants.
Différence entre l'amour et l'exaltation de l'instant et le mariage qui représente la loi, la durée et les institutions (la famille dans le cas de Roméo et de Juliette).
Dans le cas de Rousseau, il y a impossible conciliation entre l'amour passion et l'amour conjugal car ces deux formes de sentiment renvoient à deux Moi : l'un qui vise l'autoconservation, l'autre qui vise l'expression du désir et la dépense du soi. On a donc un Moi qui veut se conserver, qui suppose que le bonheur est dans la constance et la tranquillité de l'âme. Il y a enfin l'autre Moi qui pose le bonheur comme impossible dans la durée ; il faut donc saisir le moment : : « Gather the rosebud while we may / Old time's still flying / And that same flower that smiles today / Tomorrow'll be dying », célèbres vers du poème « Carpe Diem ».
La sauvegarde de soi, c'est avant tout la sauvegarde de l'univers collectif et social. La dépense de soi, c'est l'adhésion aux pulsions individuelles.
Ce choix entre amour et mariage est impossible à faire puisque choisir l'un, c'est regretter de ne pas avoir choisi l'autre ; le fait que ce choix soit strictement impossible vient de ce que les valeurs sont incompatibles, et que choisir l'un ou l'autre pose moralement des problèmes. Comment expliquer à une famille de haut rang qu'on préfère un amour indigne à un mariage qui serait un gage de dignité? Comment expliquer à son amant qu'on préfère la raison à la passion, la reconnaissance sociale à l'amour? Rousseau illustre donc la pathologie amoureuse comme l'impossibilité de choisir. Premièrement, on ne peut pas choisir quel amour on veut, car le choix sera regretté. On ne peut pas non plus choisir de rester dans l'incertitude, car celle-ci fait souffrir.
Finalement, Julie préférera le mariage avec Wolmar et aura la « nostalgie du désir », regrettant son choix; la nostalgie, c'est-à-dire l'impression qu'elle aurait dû faire l'autre choix. L'hypothèse de l'impossibilité du choix se confirme.
Ce qu'il y a aussi de remarquable chez Rousseau, c'est qu'en ayant vu cette contradiction, cette ambivalence entre deux Moi, il a dépassé la thématique de l'amour courtois tout en ouvrant le champ aux Romantiques.
L'amour courtois considère le mariage comme le lieu du devoir et de la loi. L'institution est incompatible avec l'amour. Il y a donc chez Jean-Jacques Rousseau un véritable appel à l'adultère, qui ne serait pas blâmable dans le sens où celui qui tromperait son conjoint le ferait pour quelqu'un qu'il aime. L'amour est une véritable vertu, il doit être libéré de l'institution, car l'émancipation de l'amour, c'est l'émancipation du désir. Il y a une fidélité à la passion plutôt qu'aux « liens sacrés du mariage ».
Le Romantisme, quant à lui, considère qu'il est possible de concilier amour conjugal et amour passion. L'amour romantique, c'est la fusion entre le sensible et le spirituel, c'est une aspiration à l'infini et la possibilité d'assouvir cette aspiration dans la finitude, grâce à la relation avec une femme réelle. La passion est ici dépassée, elle n'est plus négative et ne mène plus à l'adultère. Il y a donc chez les romantiques, une possibilité de concilier désir et passion, par le mariage, mais aussi par la mort comme accomplissement et union éternelle des amants, union extra-temporelle.
La dimension politique de Rousseau : le contrat social
Rousseau affirme son originalité en réfutant la thèse de la sociabilité naturelle de l'homme et en affirmant sa bonté naturelle. La première position le rapproche de Hobbes, qui voyait dans l'homme naturel un être isolé et cherchant avant tout à contenter ses besoins. Mais par la seconde, il se détache du penseur anglais, puisque celui-ci affirmait, reprenant Plaute, que l'« homme est un loup pour l'homme » (homo homini lupus est). Considérant l'agressivité naturelle de l'homme, Hobbes, profondément choqué par la guerre civile et les troubles religieux anglais du XVIIé siècle, réclamait un pouvoir royal absolu confisquant la violence individuelle au profit de l'État.
Enthousiasmé par la bonté naturelle, Rousseau, lui, considère que le pouvoir doit venir des individus eux-mêmes. Selon Hobbes, l'homme est mauvais en soi ; selon Rousseau, c'est la société, c'est-à-dire le désir de posséder, de dominer et de paraître, qui a corrompu l'homme.
Le Contrat social a parfois été considéré comme le texte fondateur de la République française, non sans malentendus, ou à titre d'accusation de la part des opposants à la République. On s'est surtout attaché à sa théorie de la souveraineté : celle-ci appartient au peuple et non à un monarque ou à un corps particulier. Assurément, c'est chez Rousseau qu'il faut chercher les sources de la conception française de la volonté générale : contrairement aux théories politiques anglo-saxonnes, Rousseau ne considère pas la volonté générale comme la somme des volontés particulières — c'est-à-dire la volonté de tous -, mais comme ce qui procède de l'intérêt commun : « ôtez [des volontés particulières] les plus et les moins qui s'entre-détruisent, reste pour somme des différences la volonté générale ».
On oublie souvent que Rousseau destinait son Contrat social à de petits États. Il s'inspirait de deux modèles, l'un antique (la cité grecque, notamment Sparte alors tenue pour démocratique), l'autre moderne (la République de Genève). Rousseau s'opposait à l'opinion de la majeure partie des « Philosophes » qui admiraient souvent les institutions anglaises, modèle d'équilibre des pouvoirs loué par Montesquieu et Voltaire. Rousseau s'opposait également avec force au principe de la démocratie représentative et lui préférait une forme participative de démocratie, calquée sur le modèle antique. Se borner à voter, c'était, selon lui, disposer d'une souveraineté qui n'était qu'intermittente ; quant à la représentation, elle supposait la constitution d'une classe de représentants, nécessairement voués à défendre leurs intérêts de corps avant ceux de la volonté générale.
En revanche, il s'opposait à la diffusion massive des savoirs, cause de la décadence moderne. Le modèle de Rousseau est bien plus Sparte, cité martiale, dont le modèle entretenait déjà quelque rapport avec la cité de La République de Platon, qu'Athènes, cité démocratique, bavarde et cultivée. Certains critiques — comme l'universitaire Américain Lester G. Crocker —, particulièrement sensibles au modèle d'autarcie et d'unité nationales de Rousseau, lui ont reproché d'avoir favorisé le totalitarisme moderne. Cette opinion est devenue minoritaire depuis quelque temps, mais elle témoigne de la force polémique qu'ont encore de nos jours les écrits du « Citoyen de Genève » .
La motivation "inconsciente" de Rousseau est la sécurité (modèle platonicien), pas l'ordre. Ce qui est assez logique, eu égard à son profil émotionnel et au tourment de sa jeunesse ….
La liberté naturelle de l'homme implique l'absence d'engagement ou d'obligation naturelle. Les talents étant répartis inégalement entre les individus, les inégalités apparaissent, puis se développent de plus en plus vite. Dans le Discours sur l'inégalité, Rousseau évoque la progression de l'inégalité : "l'égalité rompue fut suivie du plus affreux désordre : c'est ainsi que les usurpations des riches, les brigandages des pauvres, les passions effrénées de tous étouffant la pitié naturelle, et la voix encore faible de la justice, rendirent les hommes avares, ambitieux, et méchants."
Dans le Contrat social, Rousseau cherche le fondement d'une autorité légitime parmi les hommes. L'homme étant naturellement libre, ce fondement ne peut être qu'une convention volontaire entre les hommes. Comment les hommes peuvent-ils associer leurs forces, sans renoncer pour autant à la liberté ? Tel est le problème du contrat social, énoncée en ces termes : "Trouver une forme d'association qui défende et protège de toute la force commune la personne et les biens de chaque associé, et par laquelle chacun, s'unissant à tous, n'obéisse pourtant qu'à lui-même, et reste aussi libre qu'auparavant".
Le contrat social = une bonne organisation sociale qui repose sur un pacte garantissant l’égalité et la liberté entre les citoyens. Ce pacte est contracté entre tous les participants, c’est-à-dire l’ensemble exhaustif des citoyens. Dans ce pacte, chacun renonce à sa liberté naturelle pour gagner une liberté civile. La souveraineté populaire est le principe fondamental du contrat social. L’indivisibilité de cette souveraineté est un autre principe fondamental, par lequel il faut comprendre que le pouvoir du Souverain ne saurait être divisé (Rousseau emploie ce terme pour désigner le peuple souverain) et ne peut s’en séparer par intérêt personnel, car l’intérêt personnel est contraire à la recherche de l’intérêt général, seul objectif du contrat social.
Ce contrat social, Rousseau le voit comme faisant suite à l’état de nature dans lequel règne la loi du plus fort. Pour lui, la loi du plus fort ne peut être un principe directeur d’une société car il est incompatible avec l’intérêt général, et donc avec le contrat social : « Le plus fort n’est jamais assez fort pour être toujours le maître, s’il ne transforme sa force en droit et l’obéissance en devoir. »
La perte du contrat social, c’est le retour à l’état de nature, primitif, animal, « tyrannique et vain ». Une société qui rompt son contrat social ne serait plus une société libre...
Du contrat social commence par ces mots :
« Je veux chercher si, dans l’ordre civil, il peut y avoir quelque règle d’administration légitime et sûre, en prenant les hommes tels qu’ils sont, et les lois telles qu’elles peuvent être. Je tâcherai d’allier toujours, dans cette recherche, ce que le droit permet avec ce que l’intérêt prescrit, afin que la justice et l’utilité ne se trouvent point divisées. » (Livre I, Préambule)
Du contrat social est un traité de philosophie politique présentant comment l’homme, une fois passé de l’état de nature à l’état de société, peut mettre en place un ordre social au service de l’intérêt général. Le pacte social que propose Rousseau établit que chacun doive renoncer à ses droits naturels pour obtenir la liberté que procure la société. Cette aliénation de chaque sujet de l’État est ce pacte qui offre à chacun l’égalité : « Les clauses [du pacte social] se réduisent toutes à une seule : l’aliénation totale de chaque associé avec tous ses droits à toute la communauté : car premièrement, chacun se donnant tout entier, la condition est égale pour tous ; et la condition étant égale pour tous, nul n’a intérêt de la rendre onéreuse aux autres. » (Livre I, Chapitre 6) La légitimité du pacte social repose sur le fait que l’homme n’aliène pas au sens propre son droit naturel mais comprend que le pacte social est au contraire la condition sine qua non de l’existence de son droit naturel.
C’est sur ce pacte que Rousseau fait reposer la démocratie. Si la liberté et l’égalité ne sont pas assurées par le peuple souverain (qu’il appelle le Souverain par personnification) envers lui-même, ou si des intérêts particuliers font que le pacte est divisé ou aliéné, alors c’est l’état de nature primitif qui reprend ses droits. Rousseau dit que rompre ce pacte sera faire que « l’état de nature subsisterait, et l’association deviendrait nécessairement tyrannique ou vaine ».
Pour Rousseau, « le principe de la vie politique est dans l’autorité souveraine », et toute division de cette autorité est nuisible : « Toutes les fois qu’on croit voir la souveraineté partagée, on se trompe ; que les droits qu’on prend pour des parties de cette souveraineté lui sont tous subordonnés, et supposent toujours des volontés suprêmes dont ces droits ne donnent que l’exécution. »
Il aborde également les problèmes législatifs, dans le livre II, (« par le pacte social, nous avons donné l’existence et la vie au corps politique : il s’agit maintenant de lui donner le mouvement et la volonté par la législation. ») en précisant la notion de loi, qui s’applique à l’ensemble du peuple, et est statué par l’ensemble du peuple, souverain :
« Quand tout le peuple statue sur tout le peuple, il ne considère que lui-même ; et s’il se forme alors un rapport, c’est de l’objet entier sous un point de vue à l’objet entier sous un autre point de vue, sans aucune division du tout. Alors la matière sur laquelle on statue est générale comme la volonté qui statue. C’est cet acte que j’appelle une loi. » (Livre II, Chapitre 6) Dans cette partie délicate, Rousseau s’attache à maintenir et à démontrer que « seulement l’intérêt public gouverne ». Il commence alors à aborder les différents organes du corps politique, avec, par exemple le législateur.
Le livre III présente les diverses formes de gouvernement, de législatures, et le livre IV entre plus précisément dans les pratiques démocratiques (tribunat, élection...)
Le style du "contrat social"
Le style, l’expression, la rhétorique du texte sont passionnantes, percutantes, efficaces, et permettent de comprendre à merveille, avec un peu d’attention comme le recommande Rousseau, ses idées neuves et qui peuvent paraître « contraires aux idées communes ». Une leçon d’écriture politique et philosophique intemporelle, et comme dirait Boileau, voilà la preuve que « ce que l’on conçoit bien s’énonce clairement et les mots pour le dire arrivent aisément ».
Les commentaires récents