L'Histoire commence par« Ma mère était bleue, d’un bleu pâle mêlé de cendres, les mains étrangement plus foncées que le visage, lorsque je l'ai trouvée chez elle, ce matin de janvier. »
J'ai aimé ce livre aussi intime qu’universel. Ce roman, aux personnages fouillés, est bouleversant, alors même qu’il ne crée pas forcément d’échos réels dans votre vie. J’ose dire : pas besoin d’être orphelin de mère, « folle » de surcroît, ou d’une grande fratrie, ou en grandes difficultés financières. C’est un livre sur l’âpreté à grandir, sur l’injustice et l’invisibilité des liens au sein d’une fratrie, sur le non-dit des familles incestueuses, sur l’incompréhension de ce qui lie les êtres entre eux et de ce qui vous en éloigne. C’est un livre sur la solitude à laquelle on ne peut pas se résoudre, celle du cœur, celle de l’esprit, celle du groupe. C’est un livre d’adultes tardifs. Nous vivons une époque où nous grandissons tard ... car nous sommes devenus grands une fois que nous avons compris. Et quel secret est mieux gardé que l’information familiale …
J'ai aimé ce livre aussi dur que tendre. Il y a de l’ivresse, de l’indécence, de la curiosité à comprendre la vie réelle traversée par ceux qui nous ont donné la vie, qui l’ont chargé aussi. Mais il y a surtout du ré-enracinement. Il faut avoir été aimé et avoir aimé pour vouloir se ré-enraciner. L’enfantement n’est pas un processus mécanique. Nous n’échappons pas, parent comme enfant, à la transmission d’un bagage déformé par tant de passé, de rêves, de désillusions, de joies et de fantaisies aussi. Dans certaines cultures ancestrales il est dit que tout individu sur terre naît chargé de la vie de certains membres de sa famille. Et s’il tient à vivre sa vie ici-bas, y accomplir son destin, il lui faut renaître. Freud est insuffisant pour cela. Au Maroc de grandes prêtresses vous y aident « au plomb ». Tant de manières existent. Delphine de Vigan enterre sa mère puis écrit. Elle est enfin née.
Comme un inlassable leitmotiv, c’est toujours la même quête, la recherche d’amour, de marques d’attention. En manquer laisse une insondable difficulté de vivre et une incapacité à transmettre l’essentiel. Dans ce lien maternel défaillant, on compte sur sa fratrie, pour assurer notre besoin de sécurité. Mais nous ne sommes pas égaux dans une fratrie, nous restons des individus avec nos personnalités propres. Les relations entre les personnes sont comme tissées dans des liens invisibles et pré-existants. Ces liens étaient là avant nous et gouvernent nos façons de se répondre, de s’opposer, de se chérir. On peut être effroyablement seul dans sa fratrie.
J'ai aimé ce livre qui est combatif et quelque part optimiste. Nos personnalités se construisent dans les environnements dans lesquels nous sommes immergés. Elles peuvent s’y déconstruire aussi. Un enfant n’a aucun pouvoir sur son environnement. Il est méritant de s’adapter du mieux possible. Delphine de Vigan incarne pour moi l’espoir que rien n’est jamais foutu, qu’il faut rester vaillant, et surtout responsable. L’âpreté à devenir grand n’est que le début de notre responsabilité d’adulte : nous nous devons ensuite de protéger l’enfance. Et une façon de protéger l’enfance est de vivre sa vie d’adulte, pas de la rêver ou de l’envier ou de l’enrager
A quelles autres œuvres cela me fait-il penser ?
Naturellement j’ai re-pensé à No et Moi du même auteur, livre que j’ai beaucoup aimé et qui a repris de sa grandeur à la lumière de ce que l’on apprend de l’enfance de Delphine de Vigan.
Dans un genre très différent, plus science-fiction, cela me fait à La ballade de Lila K, Blandine Le Callet, parce que Lila cherche aussi sa mère.
Et cela me fait penser aux Mémoires de Diane Keaton qui vont sortir sous peu, que je n’ai donc pas encore lus. J’ai compris de mes potes dans l’Edition que ces Mémoires retracent tout le bien qu’une mère peut faire. Oui, un amour sain et fonctionnel, cela existe !
Dans la colonne à droite (sous l'intitulé "Albums Photos"), vous trouverez des informations pratiques sur ce livre, ainsi que la biographie et la bibliographie de l' Auteur
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